LA DATE DE SIGNIFICATION D'UN ACTE EN DIP

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23/01/2018 12:05

La Date de signification d’un acte en D.I.P

Règlement CE 1393/2007

 

 

 

 

Depuis l’entrée en vigueur du Règlement CE 1393/2007 l’acte signifié à une partie domiciliée sur le territoire d’un pays membre de l’Union Européenne comporte deux dates.

 

La première est établie à l’export par l’Huissier de Justice français qui rédige un procès verbal d’accomplissement des formalités d’envoi.

 

La date qui figure sur cette diligence présente un intérêt quand le demandeur doit accomplir une formalité dans un délai déterminé.

 

C’est le cas du créancier saisissant qui doit dénoncer la saisie attribution dans un délai de huit jours suivant le procès verbal correspondant.

 

Pour autant une deuxième date est à prendre en considération, celle qui correspond à la remise effective de l’acte de procédure au défendeur par l’autorité requise étrangère.

 

La question essentielle qu’il convient de se poser ici est de savoir quelle est la date à prendre en considération pour déterminer non seulement  l’effet interruptif  de la prescription relative à l’action qui a été engagée mais aussi pour évaluer toutes les conséquences qu’elle peut avoir sur la caducité d’une procédure devant la juridiction saisie.

 

Ce débat fait sens dans le contexte particulier d’une saisie immobilière quand l’action est introduite en vertu d’un acte de prêt Notarié, pour un bien situé dans un pays membre de l’Union Européenne, et dirigée contre un emprunteur domicilié dans un pays  différent.

 

La créance objet de la procédure est soumise à un délai de prescription  de deux ans, qui commence à courir dès le premier impayé non régularisé, même si le créancier dispose d’un titre exécutoire, en l’espèce un acte authentique.

 

Ce délai est en principe interrompu par la signification d’un commandement de payer valant saisie immobilière à l’emprunteur défaillant.

 

La situation ne présente pas de difficulté en droit interne.

 

Une seule diligence est accomplie par l’Huissier de Justice qui ne mentionne qu’une date.

 

C’est à partir de celle-ci que commence à courir le délai pour publier le commandement de payer valant saisie immobilière.

 

Le non accomplissement de cette formalité dans le délai déterminé par la loi pourrait entraîner la caducité de la procédure.

 

Dans le cas où il existe un élément d’extranéité, en l’occurrence le domicile, la question est non seulement complexe mais les enjeux déterminants.

 

Nous allons ici présenter le problème à partir d’un cas concret qui a abouti à une décision du juge de l’exécution.

 

Au terme de celle-ci le juge a considéré que   la date de signification de l’acte correspondait à celle de l’envoi.

 

En conséquence la caducité devait être envisagée à partir de celle-ci peu importe la formalité de la remise qui pourtant constitue l’élément d’information du défendeur.

 

Voyons le cas en détail :

 

 

 

Contexte : Notification internationale des actes de procédure

 

Instrument : Règlement CE 1393/2007

 

Faits

 

 

Trois commandements de payer aux fins de saisie immobilière sont transmis à l’autorité Irlandaise :

 

-le 7 avril 2011

-le 13 décembre 2012

-le 10 octobre 2013

 

Ils n’ont jamais été portés à la connaissance des requis, qui ignorent l’engagement de la procédure.

 

Faute de remise ces commandements n’ont pas été publiés au bureau des hypothèques.

 

Un quatrième commandement est transmis à cette même autorité le 17 juin 2015 et l’acte est valablement porté à la connaissance de la partie en cause le 5 août de la même année.

 

Il est alors  publié au bureau des hypothèques le 28 septembre 2015, dans les deux mois qui suivent sa remise effective aux parties.

 

 

 

 

 

 

Prétentions et moyens des parties

 

La partie saisie fait valoir que la première échéance impayée est en date du 10 septembre 2009 ; que la déchéance du terme a été prononcée le 24 mars 2010 ; que le délai de prescription biennal s’achevait donc le 10 septembre 2011 pour l’échéance du mois de septembre 2009, le 10 octobre 2011 pour la mensualité d’octobre 2009 et que s’agissant du capital restant dû, le délai s’achevait le 8 janvier 2012.

 

Même si le quatrième commandement a bien été publié au bureau des hypothèques, les trois premiers ne l’ont pas été, ils sont donc caducs et ne peuvent produire un effet interruptif de prescription.

 

Le créancier poursuivant considère pour sa part que les trois premiers commandements ont interrompu la prescription et que l’obligation de publier ne peut intervenir que si l’on rapporte la preuve de la remise effective de l’acte à la partie saisie par l’intermédiaire de l’entité requise étrangère.

L’argument de la caducité est inopérant puisque le quatrième commandement a bien été publié dans les délais légaux (remise effective aux parties le 5 août 2015 et publication le 28 septembre 2015)   

 

 

 

 

Situation juridique

 

 

Le commandement de payer en matière immobilière est un acte de saisie dès qu’il est signifié à la partie requise, c'est-à-dire porté à sa connaissance conformément à l’article 651 du CPC.

 

Dans cette hypothèse le délai de prescription est interrompu.

 

En droit interne la situation est claire puisque l’acte porté à la connaissance de la partie adverse est un acte d’Huissier de Justice sur lequel ne figure qu’une seule date, celle de la remise.

 

Il n’y a donc pas d’ambiguïté quand il s’agit de calculer un délai.

 

En droit de l’Union Européenne la question est beaucoup plus complexe.

 

On relève deux dates sur l’acte et les modalités de remise ne sont pas celles des articles 653 à 664-1 du CPC.

 

Chaque entité requise procède conformément à la législation de son Etat, c'est-à-dire un droit étranger.

 

En outre la règle posée par L’article 640 du CPC sur la computation des délais est sans intérêt puisqu’elle ne vise que la diligence à date unique.

 

 

 

Question de Droit

 

 

Quelle est la date de signification de l’acte à prendre en considération pour calculer le temps qui s’est écoulé entre le commandement et la publication au bureau des hypothèques.

 

Si un délai de plus de deux mois s’est écoulé, alors le commandement sera déclaré caduque et ne produira aucun effet interruptif.

 

 

 

L’analyse des faits par Monsieur Le Juge de l’Exécution

 

 

Le Juge de l’Exécution considère que la date de la signification de l’acte est celle de l’envoi du document à l’entité étrangère, c'est-à-dire la date de la formalité de transmission établie par l’Huissier de Justice conformément à l’article 4 du Règlement CE 1393/2007.

 

 

Considérant cet élément dans la procédure il en déduit deux conséquences :

 

-Il n’y a pas lieu de rechercher si l’acte a été remis au destinataire et donc il est inutile de se demander si la carence de l’entité étrangère constitue une cause d’empêchement.

 

-La date de l’acte étant la date de transmission, le commandement n’a pas été publié dans les délais légaux. Il est caduque et ne produit pas d’effet interruptif de prescription.

 

 

 

Argumentation

 

 

L’article 9 du Règlement CE 1393/2007 nous indique que la date de signification d’un acte est celle à laquelle il a été notifié conformément à la législation de l’Etat membre requis.

 

Article 9 Règlement CE 1393/2007 :

 

« 1.sans préjudice de l’article 8, la date de la signification ou de la notification d’un acte effectué en application de l’article 7 est celle à laquelle l’acte a été signifié ou notifié conformément à la législation de l’Etat membre requis »

 

Incontestablement il s’agit de la date de la remise et non celle de la transmission.

 

Par ailleurs cette deuxième date (remise) est à combiner avec la première (transmission) puisque celle-ci est à prendre en considération pour le requérant quand ce dernier doit réaliser une formalité dans un délai déterminé.

 

Article 9 Règlement CE 1393/2007 :

 

« 2.Toutefois, lorsque, conformément à la législation d’un Etat membre, un acte doit être signifié ou notifié dans un délai déterminé, la date à prendre en considération à l’égard du requérant est celle fixée par la législation de cet Etat membre »

 

 

Article 647-1 CPC : 

« La date de notification, y compris lorsqu'elle doit être faite dans un délai déterminé, d'un acte judiciaire ou extrajudiciaire en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ainsi qu'à l'étranger est, à l'égard de celui qui y procède, la date d'expédition de l'acte par l'huissier de justice ou le greffe ou, à défaut, la date de réception par le parquet compétent. »

 

 

En l’espèce le créancier saisissant devait engager les diligences de notification du commandement de payer aux fins de saisie immobilière dans le délai de deux ans suivant la déchéance du terme de la créance objet de la procédure pour interrompre la prescription.

 

Cette formalité a bien été engagée par la CASM et réitérée plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle soit effectivement accomplie.

 

La Banque n’étant pas responsable de la carence de l’entité requise, on ne peut rien lui reprocher à ce titre et il serait paradoxal de lui faire supporter les conséquences de l’inaction d’un opérateur étranger chargé de la formalité de remise, avec qui elle n’entretient aucun rapport de droit privé à la différence de l’huissier de justice français qui est son mandataire pour les diligences qui entrent dans sa compétence sur le territoire national (formalité de transmission).  .

 

En pratique la date de signification étant la date de la remise, on peut affirmer que les transmissions des trois premiers commandements ont interrompu le délai de prescription et que le quatrième commandement, valablement notifié aux parties, a bien été publié au bureau des hypothèques dans les deux mois qui ont suivi sa remise effective.

 

IL n’y a à ce titre aucune caducité à relever.

 

La Belgique qui utilise le même dispositif de notification en Europe que la France a rendu plusieurs décisions dans ce type de contentieux.

 

On peut notamment citer un arrêt de la Cour d’Appel de BRUXELLES

(17 ème Chambre, 18 mars 2017, Rev, not, 2014/7 n°3087 P 637)

 

« L’exploit de saisie exécution immobilière doit être transcrit à la conservation des hypothèques, au plus tard, dans les quinze jours de sa date. Lorsque le saisi est domicilié à l’étranger (en l’espèce, en France), il y a lieu de tenir compte du Règlement CE 1393/2007 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extra judiciaires  en matière civile ou commerciale. En ce cas, le délai de transcription de l’exploit prend cours à dater de la date de la signification dans l’Etat requis de telle sorte qu’est régulière la transcription intervenue dans les quinze jours de cette date »

 

-Voir aussi en ce sens un arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour d’Appel de BRUXELLES du 24 octobre 2007 (JLMB 2008 n°23, p 1009)-.

 

En France la Cour de Cassation s’est également prononcée sur cette question dans une affaire où le requis n’était pas domicilié dans un Etat membre de l’Union Européenne mais ce qui est important de retenir ici est la règle que dégage  la Haute Juridiction en matière de notification internationale.

 

Cass.Civ.2ème juin 2016, n°14-11576

 

« Attendu qu’il résulte de l’article 684 al 2 du CPC que la date à laquelle est effectuée la remise à parquet (formalité de transmission par voie diplomatique) de la décision à signifier par la voie diplomatique ne constitue pas le point de départ du délai pour interjeter appel de la décision.

Que le délai imparti à un Etat étranger pour interjeter appel d’une décision rendue à son encontre court à compter du jour où la décision lui a été effectivement notifiée (formalité de remise)

 

Conclusion

 

Le Juge de l’Exécution n’envisage pas la signification comme le moyen de porter effectivement une information à la connaissance d’une partie (formalité de la remise).

 

Il l’envisage seulement comme une formalité procédurale destinée à produire des effets juridiques (formalité de transmission).

 

Cette conception est fondée sur le principe de la fiction juridique qu’on peut attribuer à certains mécanismes opérationnels du droit.

 

Cette façon d’envisager la signification des actes ne répond plus aux exigences du procès équitable tel qu’on le connaît dans le droit de l’Union Européenne (voir en ce sens la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE).

 

On peut aussi s’interroger sur le raisonnement du juge.

Il reproche au créancier saisissant de ne pas avoir publié les commandements dès la formalité de transmission, c'est-à-dire sans s’assurer que les parties ont bien été informées de la procédure et quand les parties le sont par le quatrième commandement, ne pas hésiter à sanctionner la Banque diligente en arguant d’une caducité !!!

 

Si les parties sont présentes à l’audience c’est en raison de la pugnacité de la demanderesse qui a permis un débat contradictoire.

 

 

 

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